Qu’est-ce que la vie ?
Ernest Rossi – publié dansPerspectives Psychologiques, 26, 6-22 –1992
(traduction de la page http://www.ernestrossi.com/what_is_life.htm ; les surlignements et les italiques bleus sont du traducteur, ainsi que les liens proposés à la fin)
Il y a une destination, un but possible. C’est la voie de l’individuation. Individuation signifie devenir un « individu, » et comme l' »individualité » embrasse notre unicité la plus secrète, ultime et incomparable, cela implique également de devenir son propre Soi. Nous pourrions donc traduire l’individuation comme « chemin vers le Soi » ou « auto-réalisation. » (p173). La fonction transcendante ne procède pas sans projet ou sans but, mais mène à la révélation de l’essentiel dans l’Homme. C’est en premier lieu un processus purement naturel, qui peut dans certains cas suivre son cours sans connaissance ou aide consciente de l’individu, et peut parfois s’accomplir par force, contre l’opposition consciente de l’individu. La signification et le but du processus est la réalisation, par tous ses aspects, de la personnalité de l’individu, à l’origine profondément cachée en puissance dans le « plasma germinatif embryonnaire » ; la production et le déploiement de l’intégralité du potentiel original. (p. 110)
Dans le courant rapide de la vie, il est bon de se rappeler de cet essai parmi les plus importants que Jung ait jamais écrit : la fonction Transcendante(1916/1960), qui est le fruit de ses 42 années d’expérience. Il n’a jamais publié cet essai dans une revue destinée à ses pairs. Cet essai aurait pu ne jamais voir le jour si un groupe d’étudiants ne l’avaient repéré dans ses dossiers et publié eux-mêmes dans une édition privée. Cet essai appelé « la Fonction Transcendante, » résume la philosophie de Jung sur la psychothérapie comme activité constructive et synthétique par laquelle les gens apprennent à identifier la nouveauté pendant qu’ils évoluent dans un dialogue créateur avec eux-mêmes.
Au départ, Jung a écrit ses essais bien avant la révolution actuelle en génomique, bio-informatique et en neurosciences. Sa seule intuition de ces développements scientifiques actuels était sa notion de « plasma germinatif» comme source archétypale de notre individualité. Aujourd’hui, nous avons identifié que ce prétendu plasma germinatif contenait environ 35.000 gènes chez l’homme. Moins bien connu est le fait que la plupart de ces gènes ont des variations mineures dans les 4 bases nucléotidiques qui composent le code génétique. Il y a environ 3,3 millions de variations génétiques qui s’appellent « polymorphisme simple nucléotide » (SNP). Si vous essayez de calculer les possibilités de variations de SNP, vous trouvez un nombre étonnant : 4 exposant 3300000. C’est un chiffre qui dépasse notre imagination. Certains de ces SNP sont assez sérieux pour être une source de maladies génétiques telles que la mucoviscidose. D’autres codent pour les sources biologiques de notre individualité dans nos réponses aux maladies et aussi vis à vis des drogues luttant contre les maladies.
L’idée principale développée ici est que les SNP seraient sensibles aux influences environnementales, y compris les influences psychosociales de la vie quotidienne dans nos rapports personnels, nos expériences de compréhension, de mémoire et d’apprentissage, et aussi aux sources uniques de notre individualité dans les arts créateurs tels que la musique, la danse, le théâtre, la méditation, et les rituels culturels en général (Rossi, 2002). Or les fonctions de la plupart des SNP sont actuellement inconnues. D’un point de vue Jungien, nous présumons que beaucoup de SNP pourrait coder les sources psychobiologiques de notre conscience et de notre individualité dont les effets pourraient seulement être éprouvés comme source archétypale cachée du Soi, de l’âme, ou de l’esprit. Je présume que beaucoup de ces SNP sont la source archétypale du concept Jungien d’individuation. Dans cette perspective, cette dernière devient notre capacité de réponse individuelle à reconnaître et exprimer le legs génétique unique que chacun de nous incarne au travers de la génomique psychosociale de notre SNP (Rossi, 2002).
Selon Jung, le but d’une vie bien développée est d’apprendre à dépasser les conflits inhérents à la confrontation entre passé et présent en construisant un pont qui pourrait atteindre des niveaux plus élevés de compréhension, un pont qui pourrait embrasser les deux avec un nouveau point de vue. Les arts, le langage, la science, les sciences humaines et la religion aussi bien que l’amour et les rapports personnels sont continuellement engagés dans la réorganisation et la synthèse créatrice. Les langues mortes, les concepts ou relations figés, en revanche, sont pétrifiés dans un état statique d’équilibre où rien de neuf ne semble jamais se produire.
Ce point de vue essentiellement créateur, synthétique et évolutionniste, frayé en psychologie par Jung, crée un contraste important par rapport aux approches analytiques réductionnistes antérieures qui caractérisaient la science classique telle qu’elle s’est développée entre les dix-septième et dix-neuvième siècles. La méthode réductionniste consistant à démonter les choses, à les analyser et les ramener à leurs éléments, a semblé réussir pendant les premières étapes de progression de la science. Qui pourrait contester l’efficacité de l’approche mécaniste de la physique et de l’astronomie classiques quand elles construisent des horloges toujours plus performantes et sont capables de prévoir une éclipse de soleil ou même l’existence d’une nouvelle planète ?
Mais que diriez-vous de la vie elle-même et de l’expérience de la conscience humaine ? La science classique a-t-elle pu vraiment indiquer quelque chose sur la vie en la tuant sous le microscope ou en analysant la conscience en lisant son tracé dans un électroencéphalogramme ? Pourrions-nous vraiment dire quelque chose sur l’origine de la vie en mélangeant quelques gaz dans un tube à essai avec une étincelle électrique pour produire les acides aminés qui étaient vraisemblablement les premiers modules de la vie ?
L’origine de la vie sur terre est perdue dans les brumes d’une période extrêmement lointaine, il y a plus de quatre milliards d’années. Une des premières tentatives scientifiques de décrire l’archétype ou le modèle de base de la vie peut être portée au crédit du prix Nobel de physique Erwin Schrodinger, qui a écrit un petit livre célèbre, « qu’est-ce que la vie ? L’aspect physique de la cellule vivante. » Comme nous pouvions l’attendre de la part d’un physicien, Schrodinger a commencé par une explication réductrice de la vie ; il a exploré comment la biologie de la vie pourrait être réduite à la chimie et à la physique. Mais avec une intuition brillante, il a fait une ré-interprétation fondamentalement importante qui a permis à la physique, à la biologie et maintenant à la psychologie de se fonder sur une base commune : la théorie de l’information. Depuis la publication de ce livre en 1944, cette approche a spectaculairement réussi. Le développement moderne de la biologie moléculaire, le décryptage du code génétique et de nouveaux éclairages sur la nature quantique de la vie et de l’esprit, tout cela a été inspiré et annoncé par Schrodinger. (voir l’annexe : de la mécanique statistique à la théorie de l’information: 4 pionniers en 100 ans d’innovation conceptuelle).
Maintenant, cinquante ans après, une situation curieuse est apparue, qui est peu comprise par le grand public et la plupart des scientifiques. Des concepts et des qualités à l’origine liés à l’esprit tel que l' »information » et la « communication » sont de plus en plus utilisés dans les sciences fondamentales comme la physique, la chimie et la biologie. C’est curieux parce que presque personne ne semble en mesurer les conséquences. Jusqu’ à présent, la sagesse conventionnelle était de considérer que la psychologie, si jamais elle devait être une science, devait se reposer sur la base réductrice et mécaniste de la physique et de la biologie classiques. Il semble maintenant que nous soyons dans le cas inverse. La physique et la biologie sont réinterprétées pour reposer sur une nouvelle base : l’information, un concept qui vient de la psychologie. Les sciences actuellement naissantes de la bioinformatique et des systèmes complexes représentent une nouvelle intégration de la psychologie, de la biologie et de la physique.
Cette nouvelle intégration est caractérisée par le travail d’un biologiste et physicien américain, Tom Stonier, dont le livre récent l' »information et la structure interne de l’univers » re-conceptualise la base de la physique et de la biologie comme branches de la psychologie, de l’information et de la théorie de la communication. Les atomes et les molécules qui composent la masse et le mouvement de l’univers et de la vie elle-même, sont toutes des structures fortement organisées. Mais quelque chose qui est organisé contient l’information et l’écoulement de l’information que nous appelons habituellement « communication. » La physique, la biologie et la vie sont donc toutes à comprendre comme processus d’information et de communication. Dans cette perspective, la physique et la biologie peuvent être considérées comme étant des branches de la psychologie et des sciences humaines en général !
Mais l’information dans les atomes, les molécules, la masse, l’énergie et la biologie est-elle du même type que le processus que nous nommons information quand nous parlons de notre expérience mentale ? Nous exprimons sûrement de l’information quand nous pensons à nous-mêmes et quand nous communiquons avec autrui. Quel est le rapport entre cette information qui est codée dans les structures matérielles – les molécules et les gènes de notre corps – et le genre d’information que nous éprouvons dans le royaume mental comme ailes de notre conscience, de notre pensée, de nos sentiments et de nos rêves ? Comment les deux sortes d’information –mentale et matérielle – sont-elles reliées entre elles ?
Approchons-nous d’une réponse à certaines de ces questions en imaginant un jeu appelé « l’évolution informationnelle de la vie » en trois actes. Regardons ce que nous apprenons aujourd’hui pour déterminer si nous pouvons décrire un scénario plausible de l’origine de l’univers dans l’acte un de l’évolution de la vie, de l’esprit et de la culture dans les actes deux et trois. Peut-être notre jeu nous permettra-t-il de saisir la conscience en mouvement.
ACTE UN
L’ORIGINE DE L’UNIVERS ET DE L’INFORMATION
Il y a un certain nombre de siècles, un moine chrétien anonyme a écrit un petit livre appelé « le nuage de l’Inconscience. » Pour réaliser la conscience de Dieu, a expliqué le moine, il suffit d’imaginer que l’on s’assoit simplement et tranquillement pour méditer sur un petit nuage d’inconscience flottant juste au-dessus de la tête. Pendant que le sujet se concentrerait pour atteindre et percer le mystère de l’inconnu dans le nuage, alors une conscience du mystère de Dieu serait réalisée.
Il est frappant de voir que cette métaphore du nuage est employée par les penseurs contemporains pour suggérer quelque chose sur l’origine et l’évolution de l’univers par le processus de la « brisure de symétrie. » Si vous vous imaginiez dans un nuage uniforme d’une taille infinie, vous vous rendriez compte que vous êtes désespérément perdu ; partout où vous regarderiez, vous ne verriez que le même champ uniforme de brume sans aucune forme pour vous informer de l’endroit ou vous êtes, pas même de repérage entre le haut et le bas. Les mathématiciens et les physiciens appellent cette homogéneïté totale un état de symétrie; tout est identique – symétrique dans toutes les directions. Rien ne peut même exister dans un univers de symétrie complète où tout est uniformément identique.
Imaginez maintenant que le nuage à l’intérieur duquel vous êtes perdu, est en réalité une vapeur chaude qui se refroidit graduellement. Vous vous rappelez du bouillonnement et des turbulences de l’eau dans la vapeur à cent degrés. Quand votre nuage se refroidit en-dessous de cent degrés et qu’il commence à se transformer en gouttelettes d’eau, il pleut. La symétrie uniforme du nuage a été brisée ; le nuage de vapeur s’est changé en une phase plus organisée entre les molécules que nous appelons eau. Comme la pluie tombe, vous pouvez maintenant savoir la différence entre en le haut et le bas. L’abaissement de la température a (1) brisé la symétrie du nuage, menant (2) à l’organisation des gouttelettes ; de telle sorte que vous pouvez avoir(3) l’information sur la direction de haut en bas. Quand la température s’abaisse encore plus, au dessous de zéro degré, il y a une autre symétrie qui se brise, menant à une autre transition de phase de l’eau, une nouvelle transformation, la cristallisation: l’eau est organisée en glace solide. En patinant sur la glace solide, vous avez alors énormément plus d’information puisque vous avez maintenant les quatre directions – nord, sud, est et ouest. La brisure de symétrie est accompagnée de nouveau d’une augmentation d’organisation et d’information.
Notre métaphore peut nous aider à comprendre le point de vue de Tom Stonier : matière, énergie et information sont toutes les trois des étapes dans l’évolution et l’organisation de l’univers. Bien que nous pensions habituellement à l’information comme aspect de l’esprit et de la conscience, la nouvelle vision informationnelle de la physique identifie l’information comme expression de l’organisation de l’énergie et de la matière dans l’évolution naturelle de l’univers. Les humains sont des expressions de l’évolution naturelle de l’organisation de la matière, de l’énergie et de l’information; ils n’ont pas plus inventé l’information qu’ils n’ont inventé la matière. Si nous pensons aux humains comme « systèmes informationnels évolués », Stonier (1990) décrit leur évolution depuis l’origine de l’univers – le Big Bang – comme suit.
« les très grands nombres associés à l’improbabilité de survenue des systèmes d’information évolués nous poussent à nous demander comment de tels systèmes ont été possibles. La réponse se situe dans les propriétés récursives des systèmes d’information. Les systèmes organisés montrent des résonances. Les résonances mènent aux oscillations. Les oscillations représentent des cycles synchronisés pendant lesquels des changements peuvent apparaître. De tels changements peuvent amortir ou amplifier les oscillations existantes. Ou bien ils peuvent créer de nouvelles résonances et exciter de nouveaux ensembles d’oscillations. Plus le système est complexe, plus la probabilité de survenue d’un changement dans le système pendant un cycle donné est grande. D’où la croissance exponentielle de l’information.
À la lumière des considérations précédentes, il apparaît clairement que la fig. [1], qui trace le rapport entre l’information et l’entropie, trace également l’évolution de l’univers : à l’extrême droite – où l’entropie approche l’infini et l’information l’état zéro – nous avons le Big Bang. Pendant que nous nous déplaçons vers la gauche, la teneur en information de l’univers commence à augmenter, d’abord comme différenciation des 4 forces de la physique – gravitation, forces nucléaires faible et forte, électromagnétisme – puis comme apparition de la matière. Pendant que nous nous déplaçons plus loin vers la gauche, nous voyons l’évolution de la matière dans les formes de plus en plus complexes. Avant que nous n’approchions l’ordonnée – l’état d’entropie zéro – les systèmes auto-organisés commencent à apparaître, et lorsque nous entrons dans le quart de cercle supérieur gauche, nous voyons non seulement le développement ultérieur des systèmes auto-organisés plus évolués, mais nous atteignons aussi le domaine des systèmes biologiques. Nous voyons également l’apparition d’un phénomène entièrement nouveau : intelligence. La courbe décrivant la croissance de l’information devient de plus en plus raide, reflétant le processus auto-catalytique qui caractérise les systèmes évolués capables non seulement de s’organiser, mais, avec l’augmentation de leur efficacité, de contrôler aussi leur environnement…
Les formes de vie primitives et archaïques dépendent de l’existence antérieure de molécules complexes, combinaisons dérivées de molécules plus simples, qui elles-mêmes ont résulté des forces assemblant les atomes, qui à leur tour ont été constitués par les forces intra-atomiques réunissant les particules fondamentales en nucléons. La complexité utilise la complexité préexistante pour réaliser des degrés plus élevés de complexité, accumulant une quantité croissante d’information dans l’évolution des systèmes ad infinitum. Elle a commencé par l’état zéro de l’information du Big Bang : d’abord les forces physiques fondamentales, puis la différenciation de la matière ; le processus de l’évolution avait commencé. La croissance exponentielle de l’information était inévitable.
L’improbabilité s’est ensuite nourrie de l’improbabilité existante. On ne commence pas par une information nulle pour avoir un singe qui, tapant au hasard sur un clavier réussit à écrire « Hamlet. » On a plutôt un système d’information fortement évolué appelé William Shakespeare, qui a baigné dans une culture informationnelle évoluée et a, en temps opportun, ajouté davantage d’information pendant que l’univers faisait un cycle de plus.
Le concept d’une augmentation de l’information de l’univers au cours de son évolution est en opposition avec l’idée que l’augmentation de l’entropie mènera inévitablement à la « mort thermodynamique » de l’univers (pp 70-72). »
Le concept de Stonier d’un univers qui évolue dans la complexité et l’information par opposition à l’idée pessimiste traditionnelle de sa «mort thermo-dynamique» certaine par manque d’énergie, est entièrement en accord avec les concepts récents de la physique, brillamment développés, et d’une façon accessible au lecteur profane, dans un volume récent sur la nouvelle physique édité par Paul Davies [ voir également la « conscience et nouvelles Psychologies Quantiques » dans perspectives psychologiques, 1988 ]. Beaucoup de cosmologues croient maintenant que l’origine de l’univers à partir du Big Bang était l’expression « d’un flux quantique probabiliste » qui a provoqué des ondes, des résonances et des oscillations qui composent le monde comme nous le percevons (cf « la nature de l’onde de la conscience » dans perspectives psychologiques, printemps1991). La poussée créatrice dans les développements actuels de la physique et des mathématiques, est partie de l’approche réductrice et analytique du passé vers une compréhension de la façon dont les systèmes de synthèse de la vie, de l’intelligence et de la conscience se sont auto-créés par le processus encore mystérieux de l’autocatalyse. L’autocatalyse arrive maintenant à l’étape centrale dans l’acte deux de notre jeu pendant que nous cherchons à comprendre l’origine et l’évolution de la vie elle-même.
L’évolution de l’univers du Big Bang au Soi selon le modèle mathématique de Tom Stonier (diagramme dans le rectangle jaune supérieur).
ACTE DEUX
L’ AUTOCATALYSE ET LA CO-EVOLUTION DE LA VIE
Il y a quelques générations, le concept de la rétroaction était le nouveau principe découvert qui expliquait comment toutes les formes de vie et les systèmes de vie artificielle pouvaient se réguler pour réaliser l’homéostasie – un état d’équilibre. Des êtres humains – avec toute leur complexité – aux machines simples – comme le thermostat qui règle la chaleur dans votre maison – le principe et le mécanisme de la « rétroaction négative» ont été employés pour garder une température ou un état constant d’homéostasie même lorsque l’environnement changeait. Cette rétroaction est qualifiée de « négative » parce qu’elle s’oppose à n’importe quelle tendance qui tenterait de changer l’état d’équilibre que vous voulez garder. Les mécanismes de rétroaction négative maintiennent l’homéostasie – elle est littéralement un moyen de conserver le même état – pour maintenir une température constante dans votre maison ou pour maintenir votre volume de sang constant dans votre corps ou même maintenir votre conscience dans certaines limites mentales. Ceci est d’une importance fondamentale pour l’équilibre essentiel de la vie à un certain niveau, c’est certain, mais la vie est certainement plus que la simple conservation des états précédemment établis et de leurs limites ! Ce qui nous intéresse vraiment aujourd’hui dans les systèmes vivants, c’est de savoir comment ils se créent, changent et évoluent au delà de leurs limites antérieures. Le nouveau principe qui explique ce processus dynamique est l’autocatalyse: comment les systèmes à tous les niveaux du moléculaire et génétique au psychologique utilisent le « positif » aussi bien que la rétroaction négative d’une manière aboutissant à une autre évolution de leur contenu organisationnel, de complexité et d’information. L' »autocatalyse » est un nouveau nom qui émerge pour décrire la dynamique sous-jacente qui s’appelle typiquement le « développement » dans la biologie et l' »individuation » en psychologie archétypale de C. G. Jung. L’avantage de ce nouveau nom est qu’il réunit les sciences précédemment séparées de la physique et de la chimie avec les processus évolutionnaires qui sont essentiels dans la biologie, la psychologie, la culture et les sciences humaines, grâce au nouveau langage mathématique de la théorie du chaos [ voir la section spéciale sur « les nouvelles maths de la psychologie archétypale » dans les perspectives psychologiques du printemps 89]. Des idées récentes sur l’origine autocatalytique de la vie ont été convenablement décrites par Lynn Margulis et Dorion Sagan dans leur Microcosmos : Quatre milliards d’années d’évolution microbienne qui est une introduction fascinante à ce domaine.
« les étangs, les lacs, et les mers chaudes et peu profondes du monde naissant, pendant qu’ils étaient exposées aux cycles de la chaleur, de la lumière, de l’obscurité froide, des UV, de l’évaporation et de la pluie, ont hébergé les ingrédients chimiques de toute une gamme d’états d’énergie. Les combinaisons des molécules formées, se sont brassées sans cesse, déconstruites et reconstruites, leurs liens moléculaires forgés par l’absorption l’énergie constante de la lumière du soleil. Pendant que les divers micro-environnements de la Terre évoluaient vers des états plus stables, des chaînes plus complexes de molécules se sont formées, et sont demeurées intactes pendant de plus longues périodes. Les acides aminés, les nucléotides, et les sucres simples ont pu former et rester en solution ensemble. Même le triphosphate d’adénosine, une molécule employée par toutes les cellules vivantes sans exception comme vecteur d’énergie, aurait pu se former par l’union de l’adénine avec du ribose (un sucre avec 5 atomes de carbone) et trois groupes de phosphate.
Quelques molécules se sont avérées être des catalyseurs : propriété qui les rendait plus aptes et plus rapides que d’autres molécules pour s’assembler ou se dédoubler sans être elles-mêmes détruites. Les catalyseurs étaient importants avant l’apparition de la vie parce qu’ils ont oeuvré contre l’aspect aléatoire, pour produire de l’ordre et des modèles dans les processus chimiques. Certaines de ces réactions autocatalytiques « mortes » forment un modèle dont la complexité croissante avec le temps est une réminiscence de la vie. A partir de calculs théoriques et d’expériences en laboratoire, on a suggéré qu’une interaction de deux cycles autocatalytiques ou plus, pourrait avoir produit un « hypercycle. » Quelques scientifiques soutiennent la théorie que de tels composés de catalyse « sont entrés en compétition » pour devenir des éléments dans les environnements, limitant de ce fait leur existence automatiquement. Mais l’idée fondamentale de l’hypercycle est tout à fait à l’opposé. Loin de se détruire dans un combat pour la survie chimique, l’auto-organisation a assemblé des composants de façon complémentaire, pour produire finalement des structures auto-réplicantes, premières formes de vie. Ces processus cycliques ont formé la base non seulement des premières cellules mais de toutes les innombrables structures basées sur les cellules et ce qu’elles ont produit ensuite…
Les expériences pré-biotiques de la nature avec de longues chaînes d’hydrocarbure créaient des composés qui auraient pu encapsuler une gouttelette d’eau environnante et son contenu tout en permettant le mouvement d’autres produits chimiques au dedans et au dehors de cet espace clos. C’était la membrane sémi-perméable, une sorte de porte molle qui a permis l’entrée de quelques produits chimiques tout en l’interdisant à d’autres (pp 52-54).
La formation de ces membranes semi-perméables était l’étape cruciale qui a rendu possible l’apparition des premières cellules vivantes. L’espace concentré dans ces cellules a facilité le processus d’autocatalyse par lequel les molécules de codage de la vie: l’ARN, l’ADN et des protéines d’une complexité toujours plus grande ont pu se synthétiser elles-mêmes et se repliquer. Les mots exacts de Margulis et de Sagan : « …les composants auto-organisés se sont complétés les uns les autres pour finalement produire des structures réplicantes ébauchant les premières formes de vie » a des résonances intéressantes à beaucoup de niveaux, de la physique quantique à la psychologie. Niels Bohr a utilisé le mot complémentarité pour décrire les paradoxes de la nature à la fois ondulatoire et corpusculaire des particules élémentaires, et Carl Jung a employé le même terme pour décrire la dynamique de notre vie mentale (par exemple, l’équilibre entre les fonctions du Conscient et de l’Inconscient) et des rapports personnels (par exemple la complémentarité entre le masculin et le féminin). Il peut y avoir plus que de la coïncidence dans cette utilisation étendue de la complémentarité pour décrire des processus fondamentaux à tant de niveaux dans tant de sciences. La complémentarité semble être un processus « archétypal » menant à l’évolution des systèmes informationnels complexes qui actuellement sont étudiés avec les nouvelles mathématiques de la théorie du chaos et des fractales [ voir les « archétypes en tant qu’attracteurs étrange » dans les perspectives psychologiques de printemps 89].
Lynn Margulis, qui est professeur de biologie à l’université du Massachusetts à Amherst, a apporté des contributions exceptionnelles à la nouvelle vision co-évolutionniste de l’origine des espèces. Le concept de Darwin de la sélection naturelle soutient que l’évolution procèdent par la « survie du plus adapté. » La compétition était la clef expliquant que certains patrimoines génétiques et formes de vie aient survécu et « ont été par la suite sélectionnés » comme nouvelles espèces dans un environnement aux ressources limitées, toujours changeant. Darwin ne peut pas être blâmé pour ça, naturellement, mais une généralisation abusive de cette vision de la nature comme « croc et griffe impitoyables » dans la civilisation occidentale, a été employée pour justifier des philosophies sociales et politiques néfastes, ainsi qu’une politique à court terme de spoliation de nos ressources planétaires.
La nouvelle vision co-évolutionniste complète la compétition darwinienne avec une appréciation plus profonde des processus coopératifs qui étaient fondamentaux dans l’origine de la vie et l’évolution des espèces. Suivant des voies frayées – mais dans l’ombre – par quelques biologistes méconnus du siècle dernier, Lynn Margulis a amassé des données sur l’origine symbiotique et l’évolution continuelle de toutes les formes de vie. Pour survivre, les nombreuses variétés de ces premières cellules élémentaires se sont lancées, il y a quatre milliards d’années, dans une compétition continuelle et intense pour la nourriture. Mais dans leur rapidité pour se dévorer les unes les autres, certaines d’entre elles ont fini par avoir mal à l’estomac. De temps en temps, le processus de la digestion a échoué et mangeur et mangé se sont retrouvés fusionnés, d’une manière qui les a amené à un compromis mesquin, où ils ont dû apprendre à vivre ensemble pour la survie mutuelle. Par la suite, certains de ces associés obligatoires ont appris à partager leurs gènes dans un rapport symbiotique. Symbiose qui a eu de plus grandes chances de survie que l’un ou l’autre des associés pris isolément. Margulis et Sagan le décrivent comme « … mêmes vieilles rengaines de méchants conflits, de compromis, puis d’association finale du vainqueur et du vaincu. »
Alors que plusieurs des idées de Margulis restent controversées, comme l’origine du mouvement et de l’évolution du cerveau lui-même dans l’union symbiotique entre les spirochètes (ces longs micro-organismes qui se déplacent d’une façon hélicoïdale) et les procaryotes primitifs (cellules sans noyau et sans mouvement), beaucoup de ces premiers résultats sont maintenant acceptés et peuvent être trouvés dans des manuels de référence en biologie. Dans un volume récemment édité et considéré comme sérieux sur la symbiose comme source d’innovation évolutionnaire, beaucoup de chercheurs de réputation internationale fournissent quantité d’écrits importants pour la compréhension des processus co-évolutionnaires, toujours à l’œuvre aujourd’hui. Ces études donnent un éclairage approfondi de la dynamique de beaucoup de formes de maladies organiques, où les virus envahissants, les bactéries et leurs hôtes humains, par exemple, se détruisent ou passent par « … les mêmes vieilles rengaines de conflits méchants, compromission, et d’association finale du vainqueur et du vaincu. » A un autre niveau, la recherche de Margulis forme un noyau de documentations scientifiques en faveur de l’hypothèse Gaia de Lovelock : notre planète peut être considérée comme vivante – un super-organisme autopoiétique vivant qui a évolué dans un rapport symbiotique avec l’univers.
Les connotations positives du terme « symbiose » pour décrire une première étape de l’évolution de tous les systèmes vivants plus évolués est en contraste important avec l’utilisation de la symbiose comme terme péjoratif en psychologie, où il désigne habituellement la façon dont deux personnes ou plus sont restées trop dépendantes l’une de l’autre trop longtemps (voir notre entrevue avec Aniela Jaffe). Nous pouvons réconcilier ces deux manières différentes d’employer le même terme quand nous nous rappelons qu’il est parfaitement sain quand il concerne le rapport symbiotique du foetus et de la mère. Terme toujours valable pour préciser que la mère et l’enfant en bas âge sont dans une proximité symbiotique pendant un certain temps. Comme l’enfant en bas âge se développe en enfant et en adolescent, nous comptons par la suite que sa complexité évolutive le mènera à un processus d’individuation qui lui permettra de devenir un adulte psychologiquement mûr. Ce processus de maturation est gêné et même parfois interrompu quand les individus comme les sociétés entières se coincent quelque part le long « … des mêmes vieilles rengaines de méchants conflits, compromission, et association finale du vainqueur et du vaincu. »
Il doit y avoir une leçon dans tout ceci, menant à une compréhension philosophique, psychologique et pratique profonde concernant la condition humaine. Les processus symbiotiques et co-évolutionnaires sont essentiels dans la dynamique auto-générative de la vie vers une richesse croissante de complexité, d’organisation et d’information comme illustrée dans notre schéma de l’évolution de l’univers du Big Bang au Soi. La courbe ascendante d’accélération de Stonier de la complexité informationnelle implique que nous soyons dirigés vers les futurs développements évolutionnaires de la matière, de l’esprit et de l’information que nous arrivons à peine à seulement entrevoir actuellement. J’ai placé le « point Omega » au dessus de la courbe avec « le nuage de l’Ignorance » parce qu’il me rappelle les spéculations spirituelles de Teilhard de Chardin au sujet de notre destin humain final. Dans une perspective psychologique, nous pourrions aussi bien employer le concept de Jung d‘individuation et d’évolution du Soi pour ce destin apparent. Stonier anticipe qu’une symbiose entre intelligence humaine et ordinateur est la prochaine étape qui est déjà en nous, vu la manière dont nos enfants acceptent « des rapports personnels » avec ces machines à apprendre. Ceci mène inévitablement à l’acte trois de notre jeu où nous ferons quelques spéculations sur cette évolution continue des gènes et des mèmes dans la culture.
ACTE TROIS
GÈNES, MEMES ET CULTURE
Nos deux premiers actes ont présenté l’évolution de la matière, de l’énergie et de l’information du Big Bang à l’organisation progressive des premières cellules vivantes et au développement co-évolutionnaire des humains avec Gaia. Mais dire que nous sommes simplement des bipèdes multicellulaires qui marchent et qui parlent en exprimant de l’information, ne semble pas vraiment apporter quelque chose de nouveau sur la nature humaine. Une nouvelle perspective est apparue avec Richard Dawkins dans son livre provocateur et brillant le gène égoïste. Dawkins voit une analogie entre le genre d’information biologique codé dans nos gènes et le genre d’information codé dans nos esprits, qu’il appelle des « mèmes. » Les mèmes commencent maintenant à évoluer dans la soupe de la culture humaine, exactement comme les gènes commençaient à évoluer dans les pools génétiques biologiques sur la terre il y a quatre milliards d’années.
« La nouvelle soupe est la soupe de la culture humaine. Nous avons besoin d’un nom pour le nouveau réplicateur, un nom qui donne l’idée d’une unité de transmission culturelle, ou une unité d’imitation. « Mimeme » vient d’une racine grecque appropriée, mais je veux un monosyllabe pour que cela retentisse un peu comme le « gène. » J’espère que mes amis des lettres classiques me pardonneront si j’abrège le mimeme en mème. Si ça peut les consoler, ils pourraient le considérer comme étant lié à la « mémoire, » ou mot français même. Il devrait être prononcé, pour s’en différencier, comme « cream. »
Les exemples des mèmes sont des airs, des idées, des expressions toutes faites, les modes vestimentaires, les manières de faire des pots ou des voûtes de bâtiment. Juste comme les gènes se propagent dans le patrimoine héréditaire en sautant de corps en corps par l’intermédiaire du sperme ou des oeufs, les mèmes se propagent dans le pool mémétique en sautant de cerveau en cerveau par l’intermédiaire d’un processus qui, au sens large, peut s’appeler imitation. Si un scientifique entend ou lit une bonne idée, il la passe à ses collègues et à ses étudiants. Il la mentionne dans ses articles et ses conférences. Si l’idée se propage, on peut dire qu’elle se propage de cerveau en cerveau. Comme mon collègue N. K. Humphrey l’a résumé d’une manière claire au début d’un chapitre : « … les mèmes devraient être considérés comme des structures vivantes, pas simplement métaphoriquement mais techniquement. Quand vous implantez un mème fécond dans mon esprit, vous parasitez littéralement mon cerveau, qui devient un véhicule de propagation des mèmes, exactement de la même manière qu’un virus peut parasiter le mécanisme génétique de sa cellule hôte. Et ce n’est pas juste une manière de parler – le mème « croyance dans la vie après la mort » est actuellement réalisé physiquement, des millions de fois, comme une structure dans les systèmes nerveux d’un grand nombre d’individus dans le monde. »
Considérons l’idée de Dieu. Nous ne savons pas quand elle a surgi dans le pool mémétique. Elle est survenue probablement beaucoup de fois par « mutation indépendante. » De toute façon, ce même est très vieux. Comment se réplique-t-il ? Par le mot parlé et écrit, facilité par la grande musique et le grand art. Pourquoi a-t-il une valeur de survie si élevée? Rappelez-vous que la « valeur de survie » ici n’est pas une valeur moyenne pour un gène dans un pool génétique, mais une valeur pour un mème dans un pool mémétique. En réalité, la question est : Qu’est-ce qui donne à l’idée d’un dieu sa stabilité et sa pénétrance dans l’environnement culturel ? La valeur de survie du mème « dieu » dans le pool mémétique résulte de son grand impact psychologique. Ce mème fournit une réponse superficiellement plausible à des questions profondément préoccupantes au sujet de l’existence. Il suggère que des injustices en ce monde pourraient être corrigées un jour. « Les bras éternels » amortissent nos propres défaillances qui, comme le placebo d’un docteur, est néanmoins efficace bien qu’étant imaginaire. Ce sont certaines des raisons pour lesquelles l’idée de Dieu est copiée tellement aisément par les générations successives de différents cerveaux. Dieu existe, ne fût-ce que sous forme de mème, avec une valeur élevée de survie, ou de puissance contagieuse, dans l’environnement fourni par la culture humaine.
Certains de mes collègues m’ont fait remarqué que cette prise en compte de la valeur de survie du mème « Dieu » esquive la question de l’existence de Dieu. En dernière analyse, ils souhaitent toujours revenir « à l’avantage biologique. » Il ne leur semble pas utile de dire que l’idée d’un dieu a un « grand impact psychologique. » Ils veulent savoir pourquoi il a un grand impact psychologique. Les moyens d’impact psychologique font appel aux cerveaux, et les cerveaux sont formés par la sélection naturelle des gènes dans le pool génétique. Ils veulent trouver de quelle façon avoir un cerveau améliore la survie des gènes (pp 192-193).
Il est difficile de croire qu’un auteur aussi instruit que Richard Dawkins ne se rende pas compte que son concept de mème est une redécouverte du concept d’archétype d’abord décrit par Platon et plus récemment élaboré par Jung qui le décrit ainsi :
« Le terme « archétype » apparait dès Philo Judeaus, en référence à l’imago Dei (image de Dieu) chez l’homme. On peut également le trouver dans Irenaeus, qui dit : « le créateur du monde n’a pas sorti ces choses directement de lui-même mais les a copiées à partir d’archétypes en dehors de lui. » … Pour notre propos, ce mot est juste et utile, parce qu’il nous indique que tant que les contenus de l’Inconscient Collectif sont concernés, nous traitons des types archaïques ou – je dirais – primordiaux, c’est-à-dire des images universelles qui ont existé depuis les temps les plus anciens. L’expression « représentations collectives » employé par Lévy-Brühl pour parler des figures symboliques dans la vision primitive du monde, pourrait facilement être appliquée à la vision primitive inconsciente du monde et pourrait tout aussi facilement être appliquée au contenu inconscient, puisqu’elle signifie pratiquement la même chose. Le savoir tribal primitif est concerné par des archétypes qui ont été modifiés d’une manière spéciale. Ils ne sont plus des contenus inconscients, mais ont été déjà changés en formules conscientes enseignées selon la tradition, généralement sous forme d’enseignement ésotérique. Ce dernier est un moyen d’expression typique pour la transmission de contenus collectifs dérivés, à l’origine, de l’Inconscient.
Une autre expression bien connue des archétypes est le mythe ou le conte. Mais ici aussi, nous traitons des formes qui ont reçu une empreinte spécifique et ont été transmises durant de longues périodes… En particulier, aux niveaux les plus élevés de l’enseignement ésotérique, les archétypes apparaissent sous une forme qui indique de façon tout à fait infaillible l’influence critique et évaluatrice de l’élaboration consciente. Leur manifestation immédiate, comme nous la rencontrons dans les rêves et les visions, est beaucoup plus individuelle, moins compréhensible, et plus naïve que dans les mythes, par exemple. L’archétype est essentiellement un contenu inconscient qui s’est changé en devenant conscient et perçu, et il prend sa couleur à partir de la conscience individuelle dans laquelle il advient à apparaître (pp 5-6).
« … il y a une bonne raison de supposer que les archétypes sont les images inconscientes pour les instincts eux-mêmes, en d’autres termes, ce sont des modes de comportement instinctif (p. 44).
L’archétype an sich, comme je l’ai expliqué ailleurs, est un facteur « non-représentable », une « disposition » : ce qui commence à fonctionner à un moment donné dans le développement de l’esprit humain et organise le matériel conscient dans des modèles pré-définis… Plus l’archétype sera constellé clairement, plus puissante sera la fascination qu’il exerce, et les déclarations religieuses qui en résulteront le formuleront en conséquence, comme quelque chose de »démoniaque » ou de « divin ». De tels déclarations indiquent la possession par un archétype. Les idées sous-jacentes sont nécessairement anthropomorphes et sont de ce fait distinguées de l’archétype organisateur, qui lui-même est irreprésentable parce qu’inconscient. »6 (pp 148-151) [ italiques ajoutés par Rossi ]
Il est évident que Jung emploie le concept d’archétype pour conceptualiser un processus d’organisation primordial dans la nature à tous les niveaux, des modes de comportement instinctifs et biologiques au démoniaque et au divin dans l’expérience humaine. Ce que l’idée de Dawkins du mème ajoute au concept d’archétype est une association avec le gène biologique, l’essence d’une nouvelle vision informationnelle de la nature de la vie. Cette adjonction aide à combler la brèche entre l’esprit et la matière qui a sapé la pensée occidentale depuis la période de Descartes. Depuis, la dynamique des gènes et des mèmes peut être étudiée expérimentalement et conceptualisée par le langage des mathématiques, la vision de Dawkins tient sa promesse de développer une nouvelle science empirique de la psychologie archétypale. De même que Jung a importé le concept d’archétype de la philosophie pour l’adapter à la psychologie, Dawkins et Stonier fournissent la base théorique qui permet d’intégrer la vision psychologique de l’archétype dans la vison organisationnelle du physique et du biologique, comme expressions de l’information. Nous pouvons maintenant comprendre rétrospectivement que le concept de l’archétype lui-même, dans son développement depuis Platon, en passant par Jung, a été un effort cohérent pour décrire l’organisation et la dynamique de la vie, de l’esprit et de l’univers. Cette activité organisatrice de l’archétype sur l’évolution de l’information, trouve une de ses plus récentes expressions dans la beauté des images produites par les ordinateurs, beauté numérique ressemblant aux mandalas, utilisant les nouvelles mathématiques non linéaires de la théorie des fractales.
La vision de Stonier sur l’évolution, au travers de notre concept de l’essence de la nature dans la physique et la biologie, de la matière et de l’énergie à l’information apporte ainsi une signification profonde à la compréhension du développement humain. Aussi longtemps que nous avons cru que l’essence de l’univers était la matière, nous pouvions seulement décrire l’organisation visible de la vie comme une sorte d’empreinte spéciale, un arché-type ou « modèle fixe » originel, qui risquait toujours d’être perdu dans la génération suivante. Or cette vision était dangereuse parce qu’elle pouvait être employée pour justifier toutes sortes d’attitudes rigides et draconiennes sur ce qui était considéré comme « normal » : pensée normative en psychologie, structuralisme en sociologie et fondamentalisme dans la pensée théologique. L’idée de la matière en tant qu’essence de l’univers et impression comme expression de la vie était dangereuse parce qu’elle pouvait entraver nos processus naturels de développement à tous les niveaux.
Quand notre compréhension de l’essence de la nature s’est déplacée de la matière à l’énergie comme elle l’a fait avec le développement de la mécanique statistique et de la thermodynamique aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, plus de flexibilité est apparue dans nos représentations de l’univers et de la condition humaine. L’archétype est devenu une force d’activation dynamique permettant l’organisation de la matière inanimée, de sorte que nous avons pu comprendre le mouvement comme expression des forces, l’énergie en physique, le vitalisme en biologie et le développement en psychologie. Le problème avec ce point de vue énergétique était que finalement, selon la deuxième loi de la thermodynamique, l’univers finirait par manquer d’énergie et terminerait sa course dans une « mort thermique. » C’était une vue dépressive qui pouvait être employée pour justifier un certain sens de la futilité au sujet de la signification de la vie et de la survie. Cette vision cynique de la survie, philosophiquement correcte au cours des dix-neuvième et vingtième siècles, a mené à la destruction insouciante de Gaia.
Pendant que nous nous déplaçons maintenant de la matière et de l’énergie à l’idée d’information comme essence de l’univers, de la nature et de l’évolution de l’être et de la conscience, nous ouvrons un énorme et nouveau potentiel pour améliorer la condition humaine. Des formes plus évoluées de la vie sont maintenant comprises comme étant possibles seulement si l’étape de la coopération vient compléter le processus de la co-évolution. La « survie du plus adapté » est seulement une première partie du processus co-évolutionnaire qui rend des formes de vie plus évoluées possibles. Nous avons maintenant une compréhension de l’archétypal comme processus autocatalytique d’une dynamique non linéaire qui produit une infinité d’expressions toujours plus complexes et individualisées dans la physique, la biologie, la psychologie et la culture. Aucun individu n’est jamais semblable à un autre. Psychologie humaine et systèmes sociaux ont besoin de liberté pour évoluer vers des solutions toujours plus créatrices face aux situations toujours plus complexes dans lesquels ils se trouvent.
Des approches pour faciliter l’accès à cette potentialité évolutive infinie sont bien représentées dans cette émission des perspectives psychologiques. Notre entrevue avec la défunte Aniela Jaffe clarifie comment la liberté individuelle permettant à chacun de développer son propre chemin unique jusqu’à l’individuation était l’essence de l’approche de Jung en psychothérapie. L’approche d’Emily Conrad à ce mouvement thérapeutique illustre comment briser la routine et les habitudes qui engourdissent l’espritpour éprouver une unité avec la fraîcheur spontanée de nos possibilités évolutives toujours présentes dans la vie de tous les jours. Sam Keen a insisté sur l’émergence de ce même idéal dans la conscience des hommes dans les groupes qu’il mène, en cassant les vieux stéréotypes sur la façon dont nous devrions nous comporter, en élargissant nos concepts sur ce que signifie être masculin ou féminin.
Tout ceci nous aide-t-il à répondre à la question éternelle « qu’est-ce que la vie ? » Et bien pas vraiment dans le sens d’une définition ultime, naturellement, mais ces réflexions proposent des recoupements entre la façon dont nous pensons aujourd’hui et la façon la plus pertinente dont nous pourrions étudier la culture dans une perspective plus profonde. Pour Stonier, il y a eu une évolution dans notre concept sur l’essence de la nature en physique et en biologie depuis la matière et l’énergie jusqu’à l’information. Leur dénominateur commun est un effort pour comprendre l’évolution de l’organisation dans la nature et nous-mêmes : c’est le même processus d’organisation qui s’est appelé « archétypal » dans la philosophie antique et la psychologie moderne – que l’on retrouve comme activité organisatrice appelée de nos jours « traitement de l’information » dans les réseaux informatiques qui forment notre culture globale évolutive. L’information est-elle ainsi le concept final permettant la compréhension de la vie? Certainement pas ! Tom Stonier a écrit un nouveau livre au delà de l’information, dont la publication est prévue par Springer-Verlag cet été. Je suis impatient de le lire.
Références
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Fester, R. (Ed.) (1991). Symbiosis as a Source of Evolutionary Innovation. Cambridge, Massachusetts: MIT Press.
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Jung, C. (1958). Psychology and Religion. The Collected Works of C. G. Jung. Vol. 11. Princeton: Princeton University Press.
Jung, C. (1959). The Archetypes and the Collective Unconscious. The Collected Works of C. G. Jung. Vol. 9(1), Princeton: Princeton University Press.
Margulis, L. & Sagan, D. (1986 ). Microcosmos: Four Billion Years of Microbial Evolution. N.Y.: Simon & Schuster.
More, W. (1990). Schrodinger: Life and Thought. Cambridge, Mass: Cambridge University Press.
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Schrodinger, E. (1944). What is life? The Physical Aspect of the Living Cell. Cambridge, Mass.; Cambridge university Press.
Stonier, T. (1983). The Wealth of Information. London: Thames-Metheu
Stonier, T.. & Colen, C. (1986). The Three C’s: Children, Computers and Communication. New York: Wiley.
Stonier, T. (1990). Information and the Internal Structure of the Universe. New York: Springer-Verlag