Hypnose au bloc opératoire : difficultés de mise en place
INTRODUCTION
Récemment le conseil national de l’ordre des médecins s’est inquiété du développement de l’hypnose et a interrogé la Société Française d’Anesthésie sur l’opportunité de telles pratiques. Cela illustre bien l’image « foraine » pour ne pas dire négative que véhicule encore cette technique. Pourtant il existe une littérature importante ayant montré puis validé son intérêt dans de nombreux domaines notamment en ce qui concerne l’anesthésie et l’analgésie (1). Le côté “magique” qu’on lui prête, la crainte de la perte de contrôle, l’idée d’une soumission à une force occulte sont encore très fortement ancrées dans l’imaginaire collectif et génèrent autant de craintes que d’espoirs injustifiés. Avant toutes choses, il convient de rappeler que l’hypnose est un état de conscience modifié, particulier qui ne correspond pas à un état de sommeil, le patient restant vigilant et coopérant. En pratique on n’est jamais “hypnotisé”, on accepte qu’une tierce personne crée les conditions pour entrer « soi-même » en état d’hypnose. Il ne peut pas y avoir de processus hypnotique sans collaboration, motivation et confiance. L’hypnose n’étant finalement qu’un phénomène naturel et banal de concentration mentale ainsi que l’a défini Ericksson (2).
L’absence de critère objectif validant l’existence du processus hypnotique a longtemps été un frein à son utilisation. Le développement de la neuro-imagerie fonctionnelle (tomographie à émission de positons : TEP) a permis de mettre en évidence une cartographie spécifique du cerveau lors du processus hypnotique (1). D’autres études sur des volontaires sains ont montré que l’hypnose per- mettait de moduler la douleur (3-4). Enfin il faut reconnaître que l’efficacité, la simplicité, la bonne tolérance et la rapidité de l’anesthésie pharmacologique n’ont pas non plus favorisé le développement de l’hypnose.
L’hypnose a été utilisée dès 1821 en chirurgie, mais elle est restée longtemps anecdotique essentiellement pour les raisons précédemment décrites. C’est sous l’impulsion de gens comme Alain Forster à Genève et Marie Elisabeth Faymonville à Liège qu’elle est en train de trouver une place nouvelle dans l’arsenal thérapeutique des anesthésistes. Pour lever toute ambiguïté, il convient de parler plutôt d’hypnosédation, c’est-à-dire que l’hypnose est combinée à une sédation consciente intraveineuse et associée à une anesthésie locale dans le but de réduire au maximum la consommation d’agents anesthésiques. Ainsi au CHU de Liège, depuis le début des années 90, près de 5000 interventions ont été réalisées sous hypnosédation que ce soit des chirurgies mineures (varices, curetages…) ou plus conséquentes (thyroïdectomie, hystérectomie). Le bénéfice pour les patients se manifeste par un vécu très différent de l’acte chirurgical (le patient se sentant plus comme un acteur à part entière de son intervention) et des suites significativement améliorées avec une diminution de l’anxiété, de la douleur et une “récupération” plus rapide (5).
Une autre utilisation intéressante de l’hypnose en anesthésie concerne la préparation du patient. Une étude récemment publiée a comparé une prémédication classique avec du midazolam à une préparation par hypnose chez des enfants devant bénéficier d’une chirurgie ORL. Chez les enfants “hypnotisés”, on observe une réduction de l’anxiété à l’induction et une diminution des troubles du comportement pendant la première semaine postopératoire (6). Indépendamment de la chirurgie, l’hypnose peut être une technique pertinente de prémédication même chez l’adulte. Plusieurs équipes utilisent l’hypnose pour la réalisation de techniques d’ALR comme alternative à la sédation. Cela semble particulièrement intéressant quand on sait que « la piqûre » est le plus mauvais souvenir rapporté par les patients après une ALR et que d’autre part la sédation IV reste controversée dans ce cas. L’hypnose conversationnelle est également très utile pour les anesthésistes. Le principe consiste à utiliser dans une simple conversation l’attitude et certains outils propres à l’Hypnose Ericksonienne pour induire des suggestions positives au patient mais hors de tout contexte hypnotique. Le choix des termes est important par exemple la phrase : “vous n’aurez pas mal ..” est le meilleur moyen de faciliter l’apparition d’une douleur, l’inconscient ne retient pas la négation mais juste le mot “mal” ! Quelles sont les difficultés qui peuvent freiner le développement de l’hypnosédation au bloc opératoire ? La première est évidente, il s’agit d’une technique avec ses possibilités, ses avantages et ses inconvénients, ses indications et ses contre-indications, elle n’est pas intuitive et impose un apprentissage orienté sur l’activité anesthésique. Il existe maintenant plusieurs centres spécialisés et il est indispensable de suivre une formation adéquate avant de débuter l’hypnosédation. Le chirurgien étant partie prenante de la technique, il est indispensable d’obtenir son acceptation et sa participation totale. Celui-ci doit en outre parfaitement maîtriser son geste chirurgical. Il est également important de bien sélectionner les types de chirurgie pouvant se prêter à une telle prise en charge. Celle-ci doit pouvoir en effet être réalisée sous anesthésie locale avec des doses raisonnables d’anesthésiques locaux. Elle nécessite une coopération de l’ensemble des intervenants du bloc comme les infirmières anesthésistes ou de bloc opératoire mais également des brancardiers. L’ambiance au bloc doit être calme, avec un niveau sonore minimum, sans conversation inutile, sans déplacements inutiles. Il faut donc considérer que l’introduction de l’hypnose au bloc opératoire ne relève pas de la seule volonté de l’anesthésiste mais de l’ensemble de la structure au sens large. Il est évident que, non seulement, l’accord du patient est indispensable (obligation légale) mais cette technique requiert de surcroît une participation complète de sa part ainsi qu’une bonne compréhension du déroulement de l’intervention et des principes de l’hypnose, notamment la conservation d’un état de conscience. La crainte de l’échec est également souvent mise en avant, mais il ne faut pas perdre de vue que ces patients sont perfusés et monitorés comme pour n’importe quelle anesthésie et qu’il est toujours possible d’endormir le patient en cas d’échec. En plus il apparaît clairement que cette inquiétude diminue rapidement avec l’expérience et le parallèle souvent fait à cet égard avec l’ALR est réaliste. En ce qui concerne l’anesthésiste en lui-même la principale limite retrouvée est, comme souvent, la nécessité de modifier ses habitudes de travail. Même si son rôle peut être plus ou moins important selon les temps opératoires, l’hypnosédation nécessite la présence permanente de l’anesthésiste et une implication personnelle importante pendant toute la durée de l’intervention. Enfin il est classiquement reproché à cette technique son caractère chronophage. Là aussi, le parallèle avec l’ALR est intéressant car il s’agit en pratique essentiellement d’un problème d’organisa- tion . Si le patient est correctement préparé, l’induction de l’hypnose peut débuter dès l’installation pendant que les panseuses et les chirurgiens finissent de se préparer. Tout doit et peut se faire en limitant le volume sonore, et en préservant au maximum l’isolement sensoriel du patient. Certains bruits incontournables ou l’installation des champs peuvent même être intégrés au discours de l’anesthésiste pendant l’induction. En ce qui concerne l’intervention en elle-même la technique ne semble pas majorer les durées opératoires (7).
Ayant suivi une formation d’hypnose en 2004 il m’a semblé intéressant 1 an après d’effectuer une petite enquête auprès des gens ayant également suivi cette formation pour voir où ils en étaient, quelles étaient leurs pratiques et quelles difficultés ils avaient pu rencontrer.